- MICROMANIPULATIONS CYTOLOGIQUES
- MICROMANIPULATIONS CYTOLOGIQUESL’ensemble des techniques permettant de manipuler des objets microscopiques constitue la micromanipulation , terme d’une ambiguïté certaine. Ainsi se trouvent groupés des procédés aussi différents que la fabrication de circuits électroniques miniaturisés, la chirurgie de l’oreille interne, la culture d’une seule cellule animale, l’isolement de bactéries et bien d’autres.Dans ces conditions, l’usage de ce terme tend à se restreindre aux opérations microscopiques réalisées à partir d’appareils spéciaux appelés micromanipulateurs. Ces appareils sont destinés à reproduire aussi exactement que possible les mouvements de la main, mais en réduisant au maximum leur échelle (puisque la réduction des mouvements est de l’ordre de 10 000 fois).Malgré cette restriction, l’imprécision demeure, car il est bien évident que les problèmes posés par la soudure de deux fils métalliques de quelques microns à l’aide de micromanipulateurs sont totalement différents de ceux que soulève la greffe du noyau d’une cellule dans une autre. D’autre part, un certain nombre d’opérations qui peuvent être réalisées à l’aide de micromanipulateurs peuvent l’être également par d’autres techniques.On se limitera à l’usage principal pour lequel les micromanipulateurs ont été conçus: la chirurgie cellulaire, ainsi que l’indiquait déjà P. de Fonbrune en 1941: «Le but de la micromanipulation est de soumettre la substance vivante, sous ses aspects microscopiques, aux interventions directes de la main. Et cela, afin de provoquer ses réactions et d’étudier celles-ci selon les principes de la physiologie expérimentale.»Les micromanipulateursL’idée de faire subir des interventions chirurgicales à la cellule est à peu près contemporaine de l’élaboration de la théorie cellulaire au milieu du XIXe siècle. C’est également vers cette époque que H. D. Schmidt à La Nouvelle-Orléans arriva à isoler des noyaux de cellules de foie avec son microscope à dissection. Mais le premier qui réussit à réduire les mouvements de la main est Laurent Chabry: en 1886, à l’aide d’un brin de paille et d’un fin capillaire, il détruisit un des deux blastomères de l’œuf d’ascidie, obtenant ainsi un «monstre demi-individu latéral». En fait, les premiers instruments à pouvoir réellement porter le nom de micromanipulateurs furent mis au point par M. A. Barber et par S. L. Schouten au début du XXe siècle. Ce sont tous deux des appareils mécaniques utilisant des vis micrométriques pour obtenir des mouvements fins.Repris et modifiés par Kite, Peterfi et Chambers, les premiers micromanipulateurs mécaniques vont aboutir au micromanipulateur mécanique actuel de Leitz: appareil volumineux et lourd permettant, dans les trois dimensions de l’espace, des mouvements grossiers assurés par des vis micrométriques. Les mouvements fins horizontaux se font par l’intermédiaire d’une sphère excentrée à laquelle est fixé le levier de commande. Cette sphère appuie à l’extrémité de deux lames métalliques reliées au porte-outils. Le mouvement vertical est indépendant et s’effectue au moyen d’une vis micrométrique.Le micromanipulateur de Fonbrune est conçu selon un principe différent (cf. figure). Trois capsules métalliques élastiques (identiques à des capsules de baromètres) sont disposées selon les trois dimensions de l’espace et supportent à l’aide de leviers le porte-outils. Grâce à un système de seringues, une pression est établie dans les capsules et assure des déplacements très fins du porte-outils. La commande est unique, constituée par un levier dont les déplacements horizontaux assurent les déplacements horizontaux de l’outil, le mouvement vertical s’effectuant par un mouvement de vis du levier sur son axe. Les mouvements grossiers sont commandés par des vis micrométriques. Il existe deux versions de cet appareil: celle qui a été mise au point par Fonbrune et qui mesure environ une vingtaine de centimètres et une autre ne mesurant que quelques centimètres de long.Enfin, dans l’appareil d’Ellis les mouvements grossiers sont toujours assurés par des vis micrométriques, et les mouvements fins par la piézoélectricité. Les céramiques sont placées de façon à assurer au porte-outils des mouvements dans les trois dimensions de l’espace. En outre, chaque appareil porte simultanément trois têtes de micromanipulation. Aux mouvements lents de l’outil peuvent être associés des mouvements brusques, soit percussion unique, soit vibrations continues.Les micro-instrumentsIl ne suffit pas de disposer d’un appareillage capable de réduire les mouvements de la main pour pouvoir opérer des cellules, encore faut-il disposer d’instruments à l’échelle de celles-ci. M. A. Barber, puis S. L. Schouten et, surtout, P. de Fonbrune ont élaboré une technique du travail du verre permettant de façonner de manière relativement simple des outils dont l’extrémité ne dépasse pas quelques micromètres. Grâce à la microforge de Fonbrune, on dispose de microscalpels, d’instruments de contention tels que crochets, spatules et anses, de micro-aiguilles pleines ou creuses, ces dernières étant plus communément appelées micropipettes. Enfin, il est possible d’obtenir des micro-électrodes ou des micro-aimants. Plus que d’instruments de chirurgie, il s’agit là d’appareils de mesure ou de stimulation.Les instruments les mieux adaptés à la chirurgie cellulaire sont les micropipettes et les micro-aiguilles (cf. figure). Les micropipettes, fabriquées à la microforge ou à l’aide d’appareils appelés étireurs de pipettes, peuvent être utilisées, si elles sont de fort calibre, comme instruments de contention d’une cellule. Plus petites, elles servent à l’injection de diverses substances ou à l’aspiration du contenu cellulaire. Leur diamètre intérieur peut être réduit de façon courante à un micron. Au-dessous de cette taille, l’aspiration ou l’injection à travers un canal aussi étroit devient très aléatoire, à moins d’utiliser des systèmes adjuvants comme la micro-électrophorèse.Les micro-aiguilles pleines sont les instruments les plus précis dont on dispose. La finesse de leur pointe atteint et dépasse 0,1 micromètre. Elles peuvent même devenir invisibles sous le microscope malgré les phénomènes de diffraction lumineuse.Disposant ainsi d’instruments que l’on peut mouvoir à l’échelle désirée, il reste à placer les cellules dans une enceinte où elles puissent être opérées sous le microscope et survivre. Ces enceintes, ou chambres , sont au nombre de deux:– La chambre humide comprend une lamelle séparée de la lame par un espace de quelques millimètres. Les gouttes de suspension cellulaire sont déposées sous la lamelle, et l’espace entre lame et lamelle est maintenu humide grâce à des parcelles de coton imbibées d’eau.– La chambre à huile est conçue selon le même principe, mais, au lieu d’essayer de maintenir l’humidité, on empêche l’évaporation des gouttes de suspension cellulaire en remplissant l’espace compris entre lame et lamelle par de l’huile. Les micro-instruments sont introduits dans l’espace laissé libre entre lame et lamelle, l’huile ne s’écoulant pas du fait de sa forte viscosité.Résultats obtenusPropriétés physico-chimiques de la celluleC’est à R. Chambers que l’on doit la démonstration de l’existence de la membrane cellulaire et la détermination de sa nature protéolipidique. C’est également lui qui, par injection de réactifs colorés extrêmement concentrés, mesura le pH intracellulaire et même intranucléaire. Il étudia aussi la différence de réaction des cellules aux ions selon qu’ils sont intra- ou extracellulaires et établit l’antagonisme des cations mono- et divalents. Enfin, il réussit à congeler instantanément des cellules en surfusion en y introduisant un microcristal de glace, la cellule reprenant vie après décongélation.Les relations nucléocytoplasmiquesGrâce aux techniques d’ablation, puis de greffe de noyaux, mises au point chez les amibes dont l’enveloppe nucléaire est particulièrement résistante, les relations entre le noyau et le cytoplasme ont pu être explorées de façon approfondie (cf. photo).L’énucléation d’une amibe conduit, au terme de quelques jours ou de quelques semaines, à la mort du fragment anucléé. Les lésions provoquées par l’absence du noyau frappent principalement les corps de Golgi, puis la membrane cellulaire. Certaines enzymes diminuent rapidement en l’absence de noyau, tandis que d’autres restent stables. La greffe d’un noyau dans des fragments anucléés permet un retour rapide de l’amibe à une vie normale.Des greffes croisées entre des amibes d’espèces différentes ont permis d’établir l’existence d’une hérédité cytoplasmique par l’apparition de variétés intermédiaires aux deux espèces. Ces expériences ont été confirmées par l’injection de cytoplasme entre ces mêmes espèces [cf. PARASEXUALITÉ ET CIRCULATION GÉNÉTIQUE].Le blocage de la synthèse de l’acide désoxyribonucléique (ADN) par le cytoplasme a pu également être démontré par la greffe de noyaux en phase de synthèse dans des cytoplasmes d’amibes en phase de repos. Le passage de l’acide ribonucléique (ARN) du noyau dans le cytoplasme, l’existence de deux types de protéines nucléaires de cycle différent, l’effet respectif sur le noyau et sur le cytoplasme de substances cytotoxiques ou de radiations ionisantes, le rôle du noyau et du cytoplasme dans la croissance en volume des amibes ont été étudiés de manière extrêmement précise. Enfin, il a même été possible de greffer un ou plusieurs nucléoles d’une cellule dans une autre et d’observer le comportement de celle-ci.Étude des premiers stades de développement de l’œuf en embryologieLes expériences de R. Briggs et T. J. King, démontrant que le noyau d’une cellule adulte conserve toutes les possibilités d’évolution et de différenciation du noyau initial de l’œuf, font désormais partie des connaissances classiques d’embryologie. Moins connues, mais également importantes, sont les expériences de I. J. Lorch, J. F. Danielli et S. Hörstadius qui ont énucléé les différents blastomères d’un œuf d’oursin aux premiers stades. Ils ont ainsi pu établir que la division de l’aster était indépendante de celle du noyau: pendant les six à sept heures de survie du blastomère énucléé, on peut observer jusqu’à six divisions successives de l’aster aboutissant à la présence de 64 centrosomes dans la cellule, les divisions des différents asters se faisant de façon synchrone. En énucléant les blastomères du pôle animal de l’œuf, ils ont obtenu un embryon quasiment normal, montrant par là l’importance du cytoplasme dans la différenciation.Structure et physiologie des chromosomesLa plupart des études sur la structure et la physiologie des chromosomes ont été réalisées sur les chromosomes géants des glandes salivaires de chironome.Elles ont permis d’établir, par exemple, in vitro le rôle du potassium (K+) comme médiateur de l’ecdysone dans la formation des « puff » de chromosomes: l’introduction de micro-électrodes permet de faire varier la différence de potentiel de membrane d’une cellule de glande salivaire; cela conduit à une modification des «puff» chromosomaux, qui remontent progressivement l’échelle des temps pour prendre l’aspect qu’ils avaient dans la larve très jeune. Ce rajeunissement des chromosomes proviendrait de l’entrée du sodium Na+ et de la sortie du potassium K+. L’évolution normale produite par l’ecdysone serait due au phénomène inverse: sortie de Na+ et entrée de K+ dans la cellule.D’autres travaux portant sur les chromosomes plumeux des batraciens ont montré la cohésion mécanique importante des chromosomes et du nucléole dont on sait par ailleurs les importantes relations physiologiques [cf. CHROMOSOMES].Étude dynamique de la mitoseR. B. Nicklas et C. A. Staehly ont pu, à l’aide d’une micro-aiguille, accrocher des chromosomes au cours de la mitose et constater que le mécanisme de déplacement de ceux-ci vers les pôles de la cellule était bien plus complexe qu’on ne le croyait jusqu’alors. Si l’on détache un chromosome du fuseau en prométaphase, pour le placer n’importe où dans le cytoplasme de la cellule, on observe qu’une fois laissé à nouveau libre de se mouvoir il va se rapprocher lentement du fuseau et s’y accrocher de nouveau; les deux chromatides filles migreront normalement chacune vers un pôle de la cellule. De plus, il est pratiquement impossible de perturber la répartition des chromatides au cours de la mitose: si l’on détache un chromosome bivalent du fuseau et que l’on prenne soin que ses deux centromères s’attachent à la même fibre, même si les deux chromatides commencent à migrer vers le même pôle, elles se séparent et l’une d’elles regagne le pôle opposé. Si maintenant on attrape une chromatide et qu’on la maintienne de façon prolongée près du pôle opposé, la seconde chromatide de la paire quitte sa fibre pour aller s’attacher à celle laissée libre par sa congénère; elle migrera ainsi vers le pôle qui ne lui était pas destiné. Deux chromatides détachées se réorienteront en allant vers le pôle le plus proche d’elles, sauf si elles sont mises ensemble au sein du cytoplasme. À ce moment, elles s’orienteront toutes deux vers le même pôle, et c’est seulement une fois revenues à la plaque équatoriale que le réarrangement bipolaire se fera.On passera sous silence les importants travaux effectués sur les cellules nerveuses et musculaires grâce aux stimulations et aux enregistrements obtenus par les micro-électrodes. On ne parlera pas davantage de l’isolement et de l’injection chez l’animal d’une seule bactérie pour tester la virulence de celle-ci, ces études relevant plus directement de la neurologie et de la bactériologie. Il en est de même des expériences effectuées sur la sécrétion et la réabsorption de diverses substances au niveau du néphron, qui sont du domaine de la physiologie rénale, même si tous les résultats obtenus l’ont été grâce aux techniques microchirurgicales.
Encyclopédie Universelle. 2012.